Cracher et mourir contre le cancer
Ah non c’est pas exactement le bon ordre des lettres ! Heureusement, ça n’a pas fini comme ça.
Marcher et courir contre le cancer – Les sentiers de l’espoir – 22km
6 mai 2018, REYREVIGNES, LOT
Au départ de la course, comme d’habitude ça court assez vite. On notera quand même que le faible nombre de participants (40) évite l’habituelle phase initiale où il faut doubler tous ceux qui sont partis devant mais courent moins vite (c’est le cas mais ça reste anecdotique par rapport aux courses à plus d’une centaine de coureurs).
Me voilà donc parti comme si de rien était, à moins de 5′ au kilomètre, alors que je me suis dit que ce serait top de finir à un moyenne de 5’30. Je me dis alors que ça compensera la faible allure dans les côtes.
Heureusement les premières bosses viennent me calmer ; assez vite je prends une rythme de croisière plus raisonnable.
Le tracé du jour est assez particulier : on peut diviser la course en deux. Une première course avec toute la difficulté -le plus gros du dénivelé est dans la première boucle-, suivie d’une seconde course qui reprend le parcours du 13km, sans difficulté majeure.
Au premier ravitaillement, à 6km, je m’asperge un bon coup. La température n’est pas encore insoutenable, ça viendra plus tard, mais c’est agréable de se rafraîchir.
Tout de suite après vient la première descente, vers Fons.
J’aime bien les descentes. Je déroule les jambes et me laisse aller, c’est souvent là que je reprends d’autres coureurs.
Il y a quelques parties plus raides ou qui n’inspirent pas trop confiance, on y ralentit, mais globalement on avale bien cette longue pente.
À peine arrivé en bas, ça attaque avec la première côte. Et quelle côte ! 10% de moyenne : 80m gravis sur 800m parcourus.
Cependant je ne marche pas. Je garde ma cadence de course (entre 170 et 180 pas par minute), et je monte tranquillement, à un rythme soutenable.
Je reprenais des coureurs dans les descentes, c’est maintenant aussi le cas dans les montées (faut dire que je suis un peu un bourrin).
Si on oublie la pente, la montée est assez agréable ; le terrain alterne entre du chemin en terre et de l’herbe…
Le bout semble toutefois ne jamais arriver ! Il faut dire qu’après être arrivé en haut de la côte, ça descend un peu pour remonter quelques mètres, le supplice !
Mais on n’a parcouru que 7km et la seconde difficulté nous tend les bras.
La seconde descente est plus technique. C’est un petit chemin qui redescend au village, creusé à flanc de colline.
On y a une vue imprenable sur la splendide cité de Fons, ses maisons traditionnelles et son église (ancien fort) qui la surplombe -je repasserais bien dans le coin pour visiter le village.
Ce moment d’agréable contemplation du paysage et d’égarement manque de me coûter une chute.
Le balisage signale des dangers, et en effet la piste se rétrécit par endroits, sa partie droite étant même parfois instable et susceptible de se détacher.
Le chemin est essentiellement composé de cailloux, parfois apparents sur de la terre, parfois cachés sous de l’herbe.
On est à l’ombre et la luminosité n’offre pas une excellente visibilité du terrain (surtout sans lunettes), alors je calme le rythme et fais attention à là où je pose mes pieds.
Je laisse passer Thierry sur la fin de la descente — il est bien plus à l’aise que moi —, il m’annonce dès lors que je le doublerai à nouveau dans la prochaine montée (ce que je ne manquerai pas de faire !).
J’avale tranquillement une compote de pomme.
Après un second (très) bref passage dans Fons, la montée commence assez fort et dans l’herbe (les organisateurs ont tondu sur 3 mètres de large pour nous rendre le passage agréable !).
Quand je le rejoins, Thierry arrête de marcher et reprend une cadence de course pour s’accrocher.
Un balisage discret (qui vu l’effort qu’on venait de fournir aurait pu être loupé si un moment d’égarement nous prenait à ce moment précis) nous indique de prendre une épingle à droite vers laquelle une flèche en bois annonce « CALVAIRE ». Ça me fait rire.
S’en suivent alors les lacets à forte pente.
Là non-plus je ne marche pas.
Quand Thierry me dit de laisser tomber pour cette partie, que c’est pas la peine de courir, je ne marche pas.
Quand les nombreux randonneurs qu’on croise (et dont on semble en déranger certains par notre présence) rendent difficile d’avancer, je ne marche pas.
Quand une randonneuse m’annonce que tous les autres ont abandonné et fait la montée en marchant, que je peux me relâcher, je ne marche pas.
Je continue à mon rythme, gardant une cadence soutenue et tirant sur mes bras pour avancer.
À chaque fois que je croise une personne je lui dis bonjour avec le sourire.
Ça me fait du bien.
Je pense que ça fait du bien aux gens aussi de pouvoir simplement dire bonjour et sourire. Le plaisir se lit sur leur visages.
En tout cas ça m’est une aide précieuse pour affronter cet obstacle. Chaque bonjour, chaque sourire, et je repars de plus belle pour accomplir l’effort.
La seconde difficulté du jour ne se limite pas au Calvaire.
Même si on est photographié et félicité au moment où on croise Jésus contemplant Fons depuis sa croix, notre calvaire de coureur (ou marcheur pour certains, donc) n’est pas terminé ! Le Calvaire monte 40m pour 200 parcourus, mais il y a au total environ 150m d’ascension sur un peu plus d’un kilomètre.
Étrangement je croise moins de monde sur la fin de l’ascension -la forte concentration de randonneurs dans le Calvaire devait être due à la vitesse réduite lors de leur descente (un bouchon quoi).
Cette fois encore, je n’en vois pas le bout.
J’ai fait le malin dans les lacets mais combien d’énergie y ai-je laissé ?
Vais-je demander aux marcheurs, qui arrivent en sens inverse, si ça monte encore longtemps ?
Je me contente de dire bonjour en souriant, sans rien demander de plus, et continue de douter.
Au bout du 10ème kilomètre, la montée est terminée.
Ça redescend et je n’arrive pas à retrouver du rythme.
Je viens d’avaler deux grosses bosses, c’est normal que je sois lessivé.
Un coureur me double. En temps normal je pourrais courir à la même allure que lui sans soucis, là j’arrive à peine à mettre un pied devant l’autre et je me demande comment c’est encore possible.
Bonjour ! -sourire-
On repasse au ravitaillement du 6ème kilomètre, mais on en est maintenant à 11. À nouveau, je m’asperge d’eau.
Je sais qu’on va bientôt arriver à Reyrevignes.
Je pourrais m’arrêter là et revenir au départ manger, boire, me reposer (je pense à littéralement m’allonger par terre et ne plus bouger).
J’ai bien couru.
J’ai fait un bel effort dans les montées (dont je suis plutôt fier), je me suis régalé dans les descentes.
C’est déjà un bilan top.
Après tout je n’ai jamais fait de trail si long. Le plus long faisait 13km ; c’était mon premier trail, avant celui-là je n’avais fait que des courses à pied de 10km sur du plat.
Courir 22km avec des difficultés pareilles, alors que je n’avais jusqu’à présent couru cette distance seulement deux fois au bord du canal, n’était-il pas prétentieux ?
Est-ce que c’était vraiment la peine de me lancer dans un 10km maintenant alors que j’avais laissé beaucoup de jus dans ces montées ?
Est-ce que j’allais tenir le coup alors que je n’avais pas mangé grand chose depuis que je m’étais levé à 6h du matin et que je n’arrivais pas à avaler quoi que ce soit ?
Thierry repasse devant. Depuis le ravitaillement après les ascensions il a retrouvé une bonne allure (je le sais parce que j’ai regardé son tracé sur Strava).
Je ne peux rien faire pour le suivre. Je continue de batailler pour avancer malgré moi.
Bonjour -sourire-
La course prend alors une nouvelle tournure.
Arrivés à Reyrevignes, on se retrouve sur le même tracé que les coureurs du 13km et on croise de plus en plus de randonneurs.
Les bonjour, sourires et encouragements partent de plus belle ! Les randonneurs savent qu’on a déjà pas mal souffert (ça doit se lire sur nos têtes), on s’encourage mutuellement avec les coureurs du 13, la seconde course commence.
Je découvre une nouvelle source d’énergie ! Alors que je perdais le goût de la course et que je ne me voyais pas finir, ces échanges et encouragements me boostent. Le mental revient.
J’étais autour de 6’15 », 6′ au kilomètre, je suis propulsé entre 5’30 » et 5′ au kilomètre. Les sensations sont de retour.
Bonjour -sourire- ! Bonjour, courage ! -sourire-
Ma plus belle chute manquée a lieu vers le 14ème kilomètre.
Je ne sais pas si il y avait du monde derrière moi pour rigoler un bon coup, mais en ne levant pas assez mon pied gauche j’ai pris une racine ou autre, et suis passé pas loin de m’étaler.
Bizarrement ça ne m’a pas trop tourmenté, j’y ai pensé quelques secondes, j’étais passé pas loin de quelque chose de mémorable, et j’ai continué.
Bonjour -sourire-, bonjour ! -sourire- Bonjour -sourire-
Au 17ème kilomètre, c’est le dernier ravitaillement. Cette fois après m’être aspergé, je bois un verre d’eau et je mange un quartier d’orange. Je prends le temps. Le plus gros est passé, il faut gérer jusqu’à la fin.
17 kilomètres, c’est ce que je crois avoir parcouru. En regardant l’heure, le temps a l’air plutôt bon, et en évaluant ce qu’il me reste à faire pour finir, je devrais faire un chrono plutôt canon (par rapport à mes prévisions, bien entendu).
L’information donnée par une bénévole « Il ne vous reste que 4km. », qui me conforte dans cette idée, était en fait destinée à des randonneurs qui ne suivaient pas tout à fait le même parcours que nous.
Je ne m’en rendrai compte que bien plus tard.
Pour une raison obscure, je me suis mis en tête que le ravito était au 17ème kilomètre. Il est en fait à mi-parcours entre le 15 et le 16ème.
Bonjour ! -sourire-
Un homme monte la côte à un bon rythme en marche nordique (ce qui n’a pas manqué d’impressionner les gens au ravitaillement, d’autant plus qu’il ne s’y est pas arrêté). Ça fait plaisir à voir, je l’encourage au passage.
S’en suit une descente tranquille, on déroule à nouveau les jambes, l’allure remonte, je reprends des coureurs du 13.
Le parcours passe à côté du Dolmen du Champ de Cuzer vers lequel court un enfant intrigué par cet édifice, suivi par toute la famille. Ça participe au charme du parcours.
Bonjour, bonjour ! -sourires-
Dans le kilomètre suivant, je reprends Thierry.
Bien sûr, la course n’aurait pas été drôle si elle ne s’était pas terminée par 4km de montées et faux plats ! (une petite centaine de mètres de dénivelé positif)
Apparemment ça l’a fait exploser.
Lorsque je passe il s’accroche.
Il restera dans mes pas pendant 2km et me remerciera à l’arrivée de l’avoir tracté.
On fait un peu le point, on n’est plus très loin.
Je lui dis que je n’ose pas regarder ma montre -depuis le début de la sortie elle affiche l’allure moyenne, l’heure et la cadence moyenne ; à aucun moment je n’ai affiché l’allure en temps réel ou encore moins la distance !-, il me répond qu’on en est à 18km. 18KM ! 18KM ?!! J’aurais dit qu’on en était au moins à 19 !.. C’est un peu un coup dur en cette fin de course.
Depuis que j’ai passé le troisième ravitaillement mon cerveau a l’impression que je suis presque arrivé, mais quand je regarde l’heure, même en tablant sur du 5′ au kilomètre, il reste au moins 20min… On n’avance pas quoi.
Bonjour ! -sourire- Bonjour -sourire-
Il fait chaud.
La moyenne sur la sortie est de 24° (d’après les stats de la montre de Thierry).
À l’ombre à l’aller il faisait 21.
À découvert dans les montées et pour les 4 derniers kilomètres ça monte à 27°C.
Ça nous change de ces derniers jours couverts et avec du vent.
Ça devient insoutenable.
Je bois une ou deux gorgées régulièrement, mais ça ne suffit pas à rafraîchir.
Bonjour ! -sourire-
Tous les coureurs et randonneurs qu’on double sont au bout de leur effort. Tout le monde s’encourage. Tout le monde peste sur ces fins de parcours où on sait qu’on y est presque mais où le chemin ne laisse jamais entrevoir l’arche d’arrivée.
Bonjour, courage, on y est ! -sourire-
Ma montre vibre. Je me dis qu’elle m’annonce que j’ai couru un semi-marathon, qu’il me reste alors moins de 500m à faire. Je me rendrai compte assez vite qu’elle m’annonçait que je venais de passer les 2h de course !
Il reste presque 1km.
L’ultime montée semble ne jamais en finir.
Les randonneurs sont les premiers à tourner à droite pour rejoindre le stade.
Ça viendra 500m plus loin pour nous.
On continue de s’encourager entre coureurs.
Ça descend un peu mais encore une montée !!! Les 10 derniers mètres d’ascension !
S’en suivent les 400 derniers mètres en descente douce.
On est à nouveau sur la portion du départ.
On passe devant un photographe dans l’épingle au bord de la route, première trace du parcours qu’on ait vue en arrivant à Reyrevignes.
On retraverse la prairie.
Derrière les arbres, l’arche apparaît.
Tout le monde est là, le speaker met l’ambiance, les sportifs profitent de boissons et assiettes gourmandes bien méritées.
On est arrivé au bout de la course.
Tout s’arrête brusquement, c’est fait.